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Mohammed Ben Sulayem : “La lutte contre les abus en ligne est un marathon, mais nous ferons la différence en étant unis”

Mai 27, 2025

By Mohammed Ben Sulayem
Mohammed Ben Sulayem
Président de la Fédération Internationale de l’Automobile (FIA)

Le président de la Fédération internationale de l’automobile (FIA) a reçu Peace and Sport dans son bureau, place de la Concorde (Paris) et s’est confié sur son combat contre les abus en ligne. Mohammed Ben Sulayem prône l’union, et souhaite fédérer un maximum de monde autour de cette cause qui lui est chère.

 Pourquoi la lutte contre les abus en ligne a tout de suite été une de vos priorités en tant que président de la Fédération internationale de l’automobile ?

J’ai vécu les critiques lorsque je pratiquais un sport (le rallye) dominé par les Européens. Au début, cela a été très difficile pour moi de ne pas être accepté. Pour commencer à l’être, il a fallu que je me prouve à moi-même, et non aux autres, que je pouvais conduire une voiture et gagner.

En fonction de la personne et de sa personnalité, la réaction peut être différente. Pour certains comme moi, si vous les attaquez ou si vous essayez de les intimider, ils deviennent plus forts. Mais ce n’est pas le cas de tout le monde. Certains s’affaiblissent et disparaissent. Ils sont bons dans ce qu’ils font, mais ils ne savent pas se défendre contre ces abus.

Lorsque je me suis porté candidat à la présidence de la Fédération internationale de l’automobile (FIA), certains Européens m’ont dit qu’il était hors de question que quelqu’un comme moi, originaire de cette partie du monde qu’ils ne voulaient même pas nommer, devienne président. Ils m’ont dit ça alors qu’il y avait des gens autour. Et moi, je me suis mis à rire, parce que ce sont eux le problème, pas moi. Mes amis européens, ceux qui me soutenaient, étaient très énervés, mais je leur ai dit de se calmer.

 

Il était essentiel pour vous de lutter contre cette forme de critiques gratuites, qui interviennent souvent sur les réseaux sociaux ?

Des gens, des jeunes sont victimes de harcèlement, d’accusations, d’affabulations et de coups. Et cela continuera si nous ne faisons pas notre part du travail. Nous ne devons pas uniquement organiser des courses, nous sommes responsables de bien plus de choses. Il faut agir collectivement contre les abus. C’est un marathon, mais en étant unis, nous ferons la différence. J’ai vite compris qu’il fallait faire quelque chose et qu’il était possible d’agir. Et je n’ai pas été le seul. Des membres de notre propre équipe ont également été victimes d’accusations et d’attaques, des commissaires de course aussi. Il ne faut pas oublier que, comme pour les autres disciplines, notre sport existe grâce aux bénévoles. Si nous ne protégeons pas nos bénévoles, notre personnel, nos pilotes, nos familles et notre communauté, notre sport sera irrécupérable. Et ce n’est qu’une question de temps. Les réseaux sociaux peuvent avoir un impact positif sur la société, mais ils peuvent aussi être utilisés à mauvais escient.

 

“Il ne faut pas salir la vie des autres”

 

En tant que président, vous n’étiez pas obligé de prendre ce sujet à bras-le-corps…

C’est une responsabilité. Je sens que je dois le faire. Quand cela ne concernait que moi, je n’en tenais pas compte. Mais quand j’ai vu ce qui arrivait aux autres, aux pilotes et aux officiels, je me suis dit que c’était hors de question de laisser les choses aller dans ce sens. Ce serait irresponsable. “United Against Online Abuse”, ce n’est pas la propriété de la FIA, cela appartient à toutes les fédérations. J’ai rencontré des politiciens, qui sont également attaqués lorsqu’ils se présentent à des élections. Ce combat est de la responsabilité de tous.

Ces attaques en ligne, c’est une maladie qui s’installe dans les familles, dans le cerveau des gens lorsqu’ils sont seuls, lorsqu’ils n’ont personne à côté d’eux, lorsqu’ils sont devant leur ordinateur et qu’ils n’ont rien d’autre à faire. Profitez plutôt de la vie ! La vie est belle. Oui, elle n’est pas toujours juste, personne ne dira le contraire. Mais il ne faut pas salir la vie des autres. La pollution de l’esprit n’est pas acceptable.

 

Comment faire pour combattre un phénomène largement répandu ?

Les gens qui sont coupables d’abus et qui n’ont pas le courage de se montrer, ce sont eux que nous voulons combattre. Et nous voulons défendre les victimes. Il est possible d’agir, et collectivement, l’élan est là. Dès que nous le pouvons, poursuivre en justice les personnes coupables d’abus en ligne enverra un message très fort et très clair à ceux qui pensaient faire la même chose. La sensibilisation est importante, mais agir avec force l’est tout autant. Et je suis très fier que nous ayons maintenant dix gouvernements avec nous dans ce combat, neuf organisations sportives, douze autres organisations, ce qui représente plus d’un million d’athlètes. Je pense qu’il faut que le nombre soit encore plus important, parce que notre voix sera encore plus forte. Nous avons besoin du nombre et de la qualité, pour élever la voix, pour dire : “les abus en ligne sont inacceptables !” Nous devons nettoyer notre sport et ce n’est pas un problème propre au sport automobile, mais à toutes les disciplines. Et croyez-moi, être ensemble est la seule solution pour aller de l’avant.

 

“L’élan s’est intensifié”

 

Quelles ont été les évolutions depuis le lancement de la campagne “United against online abuse” il y a deux ans ?

L’élan s’est intensifié, en obtenant par exemple le soutien d’autres gouvernements, en faisant participer davantage d’athlètes et en obtenant le soutien de l’Union européenne. L’UE a accordé une subvention pour la réalisation de ce projet, parce qu’elle a vu qu’il s’agissait d’un réel problème. C’est un fléau, c’est une maladie. Enormément de gens ont déjà vécu cette mauvaise expérience. Je suis désolé, mais même si vous êtes fan de quelqu’un d’autre, vous devez respecter tout le monde.

Si vous autorisez quelqu’un à dépasser les bornes, cela va devenir la jungle. Ce n’est pas acceptable. Cela commence dès la jeunesse, lorsque vous plantez la graine qui vous permet de savoir ce qui est juste et ce qui ne l’est pas. Il n’est pas nécessaire d’aller à l’école pour le savoir. C’est du bon sens. Votre famille vous apprend en grandissant la bonne façon de penser. En ce qui me concerne, je n’ai jamais détesté une personne. Je déteste ce qu’elle fait si elle se rend victime d’abus en ligne. Et il faut bien faire la différence entre détester une personne et ce qu’elle fait.

Pour moi, le message doit être clair et fort. Et la force ne vient pas uniquement de la prévention, il faut avoir de l’influence pour faire changer les mentalités. Les gens doivent comprendre que c’est grave et craindre les conséquences. Comment un être humain peut-il se donner le droit de détruire la carrière d’un jeune garçon ou d’une jeune fille ? C’est inacceptable.

Je suis heureux que cette lutte avance, que des résultats viennent, même s’il reste encore du travail. C’est comme planter une graine. Il faut s’en occuper au début, la protéger, lui donner de l’eau… Ensuite, vous obtiendrez les fruits, et les fruits, ce sont les résultats. J’espère que nous parviendrons à éradiquer ce phénomène, il faut pour cela continuer à travailler. Il faut de l’endurance, et il est important d’avoir de bons alliés.

 

“Il faut agir et utiliser le sport comme vecteur de paix”

 

Pouvez-vous me dire pourquoi Peace and Sport est un bon allié et pourquoi il est si important d’être nombreux à mener ce combat ?

Peace and Sport a été l’un de nos premiers soutiens. Le sport est pacifique, c’est un vecteur de paix. Le sport n’a pas de barrières. Il doit donc toujours être protégé, car lorsque tous les liens et toutes les communications s’arrêtent, le sport a toujours un effet. Et c’est là qu’il peut rassembler les gens et aider la paix à s’installer. Pour moi, il s’agit d’une bonne coopération, c’est certain. Nous pouvons communiquer de meilleure façon et à une échelle plus large, et ils inspirent d’autres organisations.

 

Il est parfois difficile de parler de paix dans le monde du sport, alors que c’est essentiel. Pouvez-vous me dire ce que cela signifie pour vous ?

Je pense qu’il ne faut pas seulement en parler, il faut agir, utiliser le sport comme vecteur pour la paix. Certains athlètes ne savent peut-être pas comment en parler, mais ils savent montrer l’exemple. Le sport construit des ponts et brise des murs, vraiment.

J’ai découvert avec mon sport des endroits où je n’aurais jamais rêvé d’aller, des cultures, des langues, des religions. Il y a eu des personnes racistes avec moi, mais je dirais que c’est 1 ou 2 %. Moi, je ne regarde pas le petit nombre, je regarde la situation dans son ensemble. C’était tellement beau pour moi d’aller à la rencontre des gens et de n’avoir aucune barrière. J’ai tellement de bons souvenirs de ce que j’ai fait. Nous devons transmettre nos connaissances aux nouvelles générations. Les réseaux sociaux peuvent avoir un impact très positif, mais malheureusement, il s’agit d’une lame à deux faces, qui peut être mal utilisée.

Vous pouvez essayer de faire quelque chose et en retour, ils vous critiquent. Moi, ça ne m’affecte pas. En arabe, on dit que la langue n’a pas d’os, elle n’est pas droite. Il ne faut pas y porter attention. Le problème, c’est quand cela affecte votre famille, il y a des athlètes qui ont quitté le sport à cause de ça. C’est quelque chose qui doit cesser. Et cela ne s’arrêtera que lorsque nous serons tous unis dans cette même direction. Nous devons croire en la cause. Nous devons être convaincus que ce que nous faisons est juste, et suivre le plan pour éradiquer ces mauvaises pratiques.

 

Voyez-vous les mentalités changer autour de vous à propos de ce combat, voyez-vous des changements positifs ?

Oui, cela est en train de changer, mais ça n’évoluera pas uniquement grâce à la FIA ou à une fédération. Nos athlètes aussi jouent un rôle important. Ils ont une responsabilité, un devoir. Ce sont des stars, les idoles des gens qui les regardent. La FIA existe depuis 121 ans, et elle leur délivre leur licence. Nous voulons qu’ils soient les meilleurs, qu’ils soient protégés, qu’ils puissent avoir une autre vie après le sport. Nous voulons qu’ils gagnent de l’argent et que les fans les soutiennent. Mais nous devons faire le ménage, car les abus en ligne pourraient avoir des conséquences catastrophiques. Quand on voit ce qu’il s’est passé avec Jack (Doohan)… [la famille du pilote a subi une vague de cyberharcèlement après un montage photo truqué attribué par erreur à son père et repris par plusieurs médias, ndlr] Nous travaillons avec les pilotes, car nous avons tous des responsabilités. Si l’un d’entre nous ne joue pas son rôle ou n’y croit pas, cela ne fera que retarder les choses. L’impact ne sera pas le même.

 

“Nous voulons nous débarrasser de ce qui est toxique”

 

La jeune génération s’intéresse-t-elle autant au problème que l’ancienne ?

Oui. La nouvelle génération nous est très chère et elle a besoin de nos conseils. Comment cela commence-t-il ? Cela débute par un langage grossier. Nos pilotes doivent être des modèles et des ambassadeurs. Nous avons récemment modifié l’annexe B du règlement concernant ce sujet, parce que vous ne pouvez pas ne pas prendre en compte le contexte. Je suis un ancien pilote de rallye, j’ai été 14 fois champion du Middle East Rally Championship. Je ne dis pas que je sais tout, je suis toujours en train d’apprendre, mais je connais bien la course automobile. J’ai entendu les demandes et j’ai souhaité améliorer le règlement. Il faut que les pilotes montrent l’exemple, et il faut aussi comprendre les conditions dans lesquelles ils évoluent.

Désormais, espérez-vous que tous les sports, toutes les fédérations vous suivent dans ce combat ?

Je ne veux pas qu’elles nous suivent, je souhaite qu’elles agissent avec nous. Il faut être unis contre les abus en ligne. Nous avons besoin de tout le soutien possible, parce que c’est important pour nous tous. On ne dit pas “travaillez pour nous”, mais “travaillons ensemble”. Personne ne veut s’approprier le bénéfice ou le crédit des actions menées, il s’agit d’atteindre nos objectifs. Que voulons-nous ? Nous voulons la paix dans notre sport. Nous voulons nous débarrasser de ce qui est toxique. Laisser les pilotes faire ce qu’ils font de mieux, courir et donner du plaisir au public. Et les fans doivent profiter de cela, dans le respect de tout le monde.

Peace and Sport – Simon Bardet