Account

Son Excellence Madame Isabelle Picco : « Tout est bénéfique, quand on traite du sport »

Juil 28, 2025

By Son Excellence Madame Isabelle Picco
Son Excellence Madame Isabelle Picco
Ambassadeur de Monaco auprès des Nations Unies

Son Excellence Madame Isabelle Picco, Ambassadeur de Monaco auprès des Nations Unies, évoque pour Peace and Sport l’importance du sport comme levier de développement et de paix.

Qu’est-ce qui vous a personnellement poussée à promouvoir le sport comme levier de développement ?

Le sport et les océans sont les deux grosses priorités de Monaco à l’ONU. L’engagement du Prince Souverain – membre du CIO et Olympien – et la place du sport à Monaco ont fait, lorsque j’ai été promue ambassadeur en 2009, que je connaissais l’importance du sport en tant que levier de développement. Cela a été déterminant. Cela m’a ensuite amenée à prendre la coprésidence du Groupe des Amis du Sport l’année suivante, sur demande de mon collègue suisse.

Monaco est devenu membre à part entière de l’ONU le 28 mai 1993. Lors de la première assemblée générale, la première résolution coparrainée par Monaco était sur l’idéal olympique. Dès le début, le sport a été un sujet important pour nous.

Monaco n’a pas un poids politique majeur, mais, justement, comme on n’a pas d’ennemis, on parle à tout le monde. Cela nous permet d’accéder à tous les groupes régionaux. Ça nous donne beaucoup de satisfaction. Il ne faut jamais hésiter – c’est vraiment mon conseil -, à solliciter les comités olympiques nationaux, à solliciter les fédérations parce qu’elles sont là pour ça.

Selon vous, en quoi le sport peut-il contribuer concrètement aux objectifs de développement ?

Les ODD ont été adoptés en 2015. Avant, nous avions les Objectifs du Millénaire pour le développement (OMD), qui étaient moins étendus. Le sport a un rôle à jouer dans quasiment tous les ODD qui font partie de ce programme de développement. Cela paraît évident pour la santé, l’éducation et l’environnement, mais, en réalité, le sport peut avoir un impact positif dans les 17 ODD. Réduire les inégalités, avoir des villes durables, l’action climatique, l’égalité des genres… Il n’y a pas un domaine où le sport n’aurait pas un impact. Prenons le travail décent et la croissance économique (ODD n°8), où a priori la contribution du sport n’est pas évidente. Pourtant, quand on sait le pouvoir économique du sport, on comprend rapidement qu’il a un rôle à jouer. Concernant la consommation responsable (ODD n°12), le sport peut montrer l’exemple, car dans les stades, on ne vend plus de bouteilles en plastique. Pour le sujet de l’action climatique (0DD n°13), il faut se poser la question de la viabilité d’avoir des Jeux olympiques d’hiver dans des pays où il n’y a plus de neige, et où il faut en créer artificiellement. On pourrait également parler du rôle du sport dans les domaines de l’industrie, de l’innovation et des performances… Le sport peut être présent partout, c’est donc un formidable levier de développement.

« Le sport, c’est un soft power »

Est-ce que le Groupe des Amis du sport est également un moyen de mettre en lumière ce domaine ?

Absolument. À l’origine, ce groupe a été créé par la Suisse. Il était alors coprésidé par la Suisse et la Tunisie, qui avait promu une année internationale de l’éducation physique et du sport. Il ne faut pas l’oublier, c’était très important parce qu’une année internationale s’inscrit dans la durée. Ce n’est pas une « simple » journée.

Lorsque le Secrétaire général Antonio Guterres a pris ses nouvelles fonctions, après avoir été à la tête du haut-Commissariat pour les réfugiés, il a décidé de ne pas renouveler le mandat de son conseiller spécial pour le sport. À ce moment-là, le Groupe des Amis du sport est passé d’un rôle de soutien au travail du conseiller spécial, à une action beaucoup plus proactive. En plus de cela, grâce aux 17 ODD, nous avons vraiment pu prendre les choses en main avec nos collègues du Qatar – qui coprésident le Groupe. On a pu dire aux différentes agences – le PNUD (Programme des nations unies pour le développement), l’Unicef ou ONU Femmes -, et à tout le système représenté à New York : « En 2015, on adopte le programme 2030 et les 17 ODD, que faites-vous pour mettre en œuvre spécifiquement ce mandat ? » Cela a été très, très intéressant.

Il y a également eu en 2017, avec l’UNESCO, le Plan d’action de Kazan. Cela a été ce qu’on appelle un « blueprint » pour les pays qui n’ont pas de politique publique pour le sport, pour le développement du sport. Le Plan d’action de Kazan, la conférence internationale des ministres du Sport, expliquent vraiment comment la mettre en place.

À Monaco, nous bénéficions du sport obligatoire dans le système scolaire, d’infrastructures absolument merveilleuses en libre accès. Le sport est promu partout en principauté. Cette année, Monaco est capitale mondiale du sport, et des événements majeurs sont là pour en témoigner, que ce soit sur l’eau, sur terre ou dans les airs. Le sport fait vraiment partie de notre politique.

La principauté est souvent très active sur les sujets sociétaux à l’ONU. Comment la délégation fait-elle pour faire avancer ces initiatives, notamment celles liées au sport ?

L’ONU est une organisation intergouvernementale, donc nous représentons nos gouvernements. Notre rôle, c’est de promouvoir des politiques qui sont utiles au mandat de l’ONU : sur la paix, la sécurité, le développement, les droits humains. Le sport, c’est un soft power, et tout passe par l’adoption de résolutions, qui doivent être négociées. Chaque fois qu’un thème ou qu’un organe qui se réunit a un sujet où le sport peut avoir un rôle à jouer, nous proposons ce qu’on appelle « du langage », et nous le négocions avec les autres États. On ne peut pas le faire au nom du Groupe des Amis du sport, on le fait à titre individuel. Et de plus en plus, c’est accepté.

Concernant les Journées internationales, celle du 6 avril (Journée du sport pour le développement et la paix) a été adoptée il y a 12 ans. Depuis, on a également instauré la Journée de la bicyclette, la Journée du football… Le sport attire de plus en plus l’intérêt des délégations parce qu’il nous unit. Trop souvent, nos délégations se déchirent sur des sujets plus sensibles, le sport permet aussi de se retrouver pour construire, pour le bien de l’humanité. Cela peut paraître un peu pompeux, mais c’est la base de notre mission. Il faut toujours avoir à l’esprit : « Nous, les peuples. »

Nous devons donc négocier, que ce soit lors des réunions de la Commission du développement social, des réunions de la Commission de la condition de la femme, ou tous les deux ans pour la résolution bisannuelle qui est présentée à l’Assemblée générale, sur un rapport du secrétaire général et auquel contribue Peace and Sport. C’est un travail qui se fait petit à petit, pas à pas. L’initiative d’ONU Femmes sur l’égalité des genres, avant les Jeux olympiques à Paris, lors du sommet qui avait été organisé par le CIO, a par exemple permis une prise de conscience encore plus grande sur l’importance du sport pour l’agenda. Chaque fois qu’un thème nous permet d’agir, nous le faisons.

Voir le sport inscrit dans les textes, cela peut donc faciliter le travail des acteurs de terrain ?

Nous l’espérons. Ils peuvent dire que le pays concerné a accepté cette résolution ou l’a coparrainée, et qu’il est donc engagé. Il ne faut pas oublier non plus que le Comité international olympique donne de l’argent aux Comités nationaux olympiques. Le CIO peut inciter certains pays à mettre la main à la pâte pour créer une vraie politique.

C’est vraiment un travail de symbiose pour les Etats qui ne peuvent pas encore se permettre d’avoir une vraie politique sportive dans leur développement, parce qu’ils estiment peut-être qu’il y a des sujets plus importants. Mais, je le répète, tout est bénéfique quand on traite du sport. Dans ces périodes difficiles, quand on est chargé de négocier sur ces thèmes et qu’on arrive à faire comprendre à nos collègues que c’est bénéfique de nous soutenir, nous sommes contents !

« Aider les pays à mettre en place les politiques publiques »

Vous évoquez le CIO. Il s’est exprimé au rendez-vous de Séville sur le financement, mais au final, le sport n’a pas été présent dans le texte. Pourquoi ?

Le texte adopté à Séville s’appelle le compromis de Séville. L’année dernière, nous négocions le Pacte de l’avenir et nous avions fait le forcing. Cela a été très, très difficile d’obtenir que le sport y figure, mais il y a figuré. Séville, c’est du pur financement, mais du financement des politiques de développement. Donc quand on fait référence au Pacte de l’avenir, indirectement, le sport y est. Et il faut voir aussi que de nombreuses agences régionales de développement étaient présentes, que le CIO aussi et qu’il a pris la parole en utilisant son statut d’observateur auprès de l’Assemblée générale.

Le sport sera beaucoup plus présent à Doha, pour le sommet sur le développement social. Le rôle du sport n’est plus à démontrer. Maintenant, il faut passer à l’étape suivante, et aider les pays à mettre en place les politiques publiques pour lesquelles ils se sont engagés, mais qu’ils tardent parfois à mettre en place, car ils ont d’autres priorités.

C’est le prochain grand défi pour que le sport devienne encore plus central, aider les pays à développer ces politiques sur le terrain ?

Oui, et c’est pour ça que le travail de Peace and Sport, qui forme les formateurs pour qu’ensuite, ils soient autonomes, est essentiel. Quand ils vont demander de l’aide au ministère, ils peuvent déjà prouver que ça a un impact. Quel homme politique ou quel gouvernement va refuser de s’engager ? Une organisation comme Peace and Sport est pionnière dans ce domaine, et nous sommes très fiers de l’avoir à Monaco.

« Nous sommes là pour défendre des politiques, pas pour faire de l’événementiel »

Former les éducateurs, c’est aussi un moyen de s’inscrire dans la durée, et de ne pas faire un simple « coup »…

C’est la pire des choses. Nous sommes là pour défendre des politiques, pas pour faire de l’événementiel. Faire venir une grande star qui va demander un avion privé et un traitement spécial qui coûte des millions, alors qu’avec une portion de ça, vous pouvez avoir une action de terrain importante, je refuse. Notre rôle en tant que représentants de nos gouvernements, c’est de légiférer au niveau international en adoptant des résolutions, et en faisant en sorte que les organismes de l’ONU qui sont en charge de la mise en œuvre le fassent. En principe, ce sont toujours des situations gagnant-gagnant. Vous ne pouvez pas imaginer combien de fonctionnaires à l’ONU ont fait des études, ont eu un travail au secrétariat parce qu’à un moment, ils ont bénéficié d’une bourse, parce qu’ils ont fait du sport à l’école, et qu’ils sont ensuite entrés à l’université. C’est cela qu’on veut.

On ne veut pas que les enfants soient recrutés en Afrique, que les parents s’endettent, et ensuite qu’ils soient laissés à l’abandon en Europe. C’est inacceptable. Et c’est là où le système onusien vient en support. Il faut que les pays le sachent, le système est là pour les aider. C’est ce que je veux promouvoir. Le CIO et le prince souverain le savent et sont pleinement impliqués, parce qu’ils savent combien l’impact du sport est important.

Comment est-ce qu’on arrive à mobiliser des financements durables pour soutenir cette intégration du sport dans les politiques de développement ?

 Comme pour toute politique de développement, la clé est dans les partenariats. De grands sportifs sont suivis sur les réseaux sociaux, de grands sportifs ont créé des fondations et investissent énormément financièrement. Dans un rapport d’ONU Femmes, on évoquait l’écosystème du sport – le CIO, les fédérations, le système onusien -, et surtout, tout l’argent véhiculé par le sport, notamment avec les marques. La clé pour tous les financements, et pas seulement pour le sport, ce sont les partenariats.

Le schéma va être Kazan. Ensuite, comment met-on en œuvre Kazan ? On va chercher des financements – privés ou publics. Les banques régionales de développement vont être de plus en plus impliquées. C’est une bonne chose, parce que culturellement, elles sont plus à même d’être proches des États. On passe notre temps à dire que la taille unique ne fonctionne pas, mais quand vous êtes au niveau supranational, c’est difficile de faire dans le détail. Pour tout ce qui est financement, revenir au local est une bonne solution. Nous avons des organisations comme Peace and Sport qui s’occupent de mettre en place des choses. Par exemple dans un village ou dans une ville, un endroit reculé. Petit à petit, ça grandit et cela devient plus facile d’avoir des financements. Ils existent, il faut juste faire voir aux investisseurs potentiels qu’ils vont avoir un retour sur investissement. Dans un pays comme Monaco, vous avez des événements sportifs majeurs comme le Grand Prix de Formule 1 et le meeting Herculis, qui sont des sponsors naturels fabuleux. Mais pour les pays les plus pauvres, c’est l’aide publique au développement qui entre en jeu. Il faut que ça fasse partie du curriculum éducatif.

Les 17 Objectifs de développement durable de l’ONU

  1. Pas de pauvreté
  2. Faim « Zéro »
  3. Bonne santé et bien-être
  4. Education de qualité
  5. Egalité entre les sexes
  6. Eau propre et assainissement
  7. Energie propre et d’un coût abordable
  8. Travail décent et croissance économique
  9. Industrie, innovation et infrastructure
  10. Inégalités réduites
  11. Villes et communautés durables
  12. Consommation et production responsables
  13. Mesures relatives à la lutte contre les changements climatiques
  14. Vie aquatique
  15. Vie terrestre
  16. Paix, justice et institutions efficaces
  17. Partenariats pour la réalisation des objectifs

 

Peace and Sport – Simon Bardet