Pour Peace and Sport, la Secrétaire générale de la Fondation UEFA pour l’enfance évoque le travail de la fondation, son fonctionnement pour sélectionner les projets qu’elle soutient, et ses réussites.
La Fondation UEFA pour l’enfance fête ses 10 ans. Quel bilan faites-vous de cette première décennie ?
Le bilan est positif, puisqu’en 10 ans, la Fondation UEFA a rapidement grandi. Elle a acquis ce savoir-faire nécessaire pour utiliser le sport – et notamment le football – comme vecteur social, particulièrement pour les enfants. C’est très important pour nous qu’ils puissent pratiquer un sport dans un environnement sécurisé, avoir accès à l’éducation grâce au sport. La Fondation UEFA a su fédérer, en incitant des associations du monde entier à travailler dans la même direction.
Est-ce qu’il y a un succès qui illustre bien le travail de la Fondation UEFA pour l’enfance ? J’aime citer en exemple l’un des premiers projets de la Fondation UEFA pour l’enfance, qui avait pour but l’intégration de réfugiés après le conflit en Syrie. Dans les camps de réfugiés en Jordanie, on a d’abord beaucoup travaillé sur le stress post-traumatique et la résilience des enfants, qui arrivaient complètement détruits à cause des horreurs de la guerre, de ce qu’ils ont vu, vécu et subi. Le but était de les aider à s’intégrer dans un nouvel environnement, au contact d’autres enfants.
Le projet a ensuite évolué. Un des succès a été d’y intégrer des filles, ce qui n’était pas évident pour des raisons culturelles. Au début, il y avait 3 filles inscrites. Maintenant, elles sont plus de 3 000 à jouer au foot tous les jours dans les camps de Zaatari et d’Azraq. Nous avons lancé le projet pendant 3 ou 4 ans, années lors desquelles on a formé les réfugiés sur place. Aujourd’hui, ce sont eux qui gèrent totalement les activités. Ce sont les coachs, les managers… Les réfugiés gèrent 100 % du projet.
En général, les camps sont loin de tout et c’est très compliqué de réellement s’intégrer dans le pays hôte. Avec ce projet, les activités ne se déroulent pas en autarcie, elles sont intégrées dans le système jordanien. Pour preuve, des équipes de football du camp jouent les tournois organisés en Jordanie. C’est la même chose pour ceux qui pratiquent le judo, et qui participent aux compétitions jordaniennes. C’est un véritable succès de voir une telle intégration aux activités du pays.
« Les communautés connaissent mieux que tout le monde leur contexte »
Vous étiez sur le terrain, en Jordanie. Que gardez-vous de cette expérience ? A-t-elle influencé votre façon de travailler aujourd’hui ?
Oui, complètement. Pour avoir été sur le terrain pendant presque 5 ans, je peux vous assurer que l’on découvre de nouvelles façons de faire très enrichissantes. Avant la Jordanie, j’étais en Afrique du Sud, en Côte d’Ivoire. Je viens du terrain, et c’est important de connaître cette réalité-là. Échanger avec les personnes sur place, connaître leurs besoins, c’est primordial. Ce n’est pas nous, de loin, qui avons toutes les réponses. Les communautés connaissent mieux que tout le monde la situation, les besoins, et ont déjà des idées pour apporter des solutions. Nous, on essaie de les aider en coordonnant ce qui existe sur le terrain.
Enfants, filles, réfugiés… C’est important de soutenir ce public-là ?
Cela va même au-delà de ça. On a ce joli slogan « Every child is a champion » (chaque enfant est un champion), et la raison d’être de la Fondation UEFA, c’est d’œuvrer pour les enfants défavorisés, les jeunes filles, les enfants avec un handicap, ceux qui sont à l’hôpital. C’est important pour nous de donner cette chance à tout enfant, quelle que soit son origine, sa religion, ses capacités physiques, son genre ou son statut social.
Le football peut servir de baguette magique pour l’inclusion sociale des enfants ?
Oui, le football a quelque chose de magique pour les sujets d’inclusion. Ce n’est pas nouveau. Si on prend un ballon et qu’on le met sur un terrain, des enfants vont venir jouer, et se comprendre autour de cette activité. Cette magie, on la retrouve aussi lorsque des clubs et des équipes nationales jouent, cela fédère tout un peuple.
Le football a une véritable force pour rassembler les gens, même dans les zones plus compliquées où œuvre la Fondation UEFA pour l’enfance. Et il sert de vecteur à de nouvelles opportunités, comme l’accès à l’éducation ou à l’emploi.
« Notre principal défi réside dans la sélection des dossiers »
Est-ce que les thématiques des projets que vous soutenez évoluent ? Existe-t-il de nouvelles thématiques émergentes ?
On a toujours eu les thèmes du sport pour une meilleure égalité des genres, du sport pour l’empowerment, pour l’éducation, pour tout ce qui concerne la cohésion sociale. Mais depuis 3 ou 4 ans, on a de plus en plus de projet traitant du football comme vecteur de sensibilisation à l’écologie. Et on n’y penserait pas forcément, mais beaucoup de ces projets mêlant foot et environnement viennent d’Afrique. Par exemple, on a un projet assez atypique avec les Maasaï, au Kenya. Le vecteur foot est utilisé pour sensibiliser les populations à la protection de la faune et de l’habitat.
Comment arrivez-vous à toucher des pays du monde entier ?
Les projets viennent à nous, et notre principal défi réside dans la sélection. Nous sommes sur certains projets, comme en Jordanie, en Turquie ou en Grèce, mais la plupart des actions sont des projets que l’on finance, où l’on amène notre expertise. Nous ne sommes pas l’acteur principal. Cette année, avec notre appel à projets, nous avons reçu plus de 3 000 demandes venues du monde entier. Le choix est délicat. Même si les 3 000 dossiers ne sont pas bons, 500 projets pourraient être financés si on avait l’enveloppe budgétaire pour. Mais on doit en sélectionner une centaine.
Quels sont les critères essentiels pour avoir une chance de faire partie des lauréats lors de vos appels à projets ?
On ne donne pas tous nos critères pour ne pas recevoir des projets seulement axés là-dessus, en oubliant les besoins réels dans la zone concernée. Nous voulons que ce soit l’inverse : axer la demande sur les besoins pour que nous venions en soutien y répondre. Pour donner tout de même quelques indices, on va regarder l’âge de la structure, l’implication de la communauté, la description des besoins et les solutions présentées pour y répondre, ou encore l’inscription dans la durée du projet et son intégration dans le système local. Si la structure travaille seule, en cercle fermé, ce sera compliqué.
Comment est organisé le suivi pour les heureux élus ?
Une centaine de projets sera sélectionnée, avec 50% de notre budget pour des actions européennes et 50% pour le reste du monde. Une fois que ces projets sont sélectionnés, on les suit dans la durée. En général, le cycle est de 3 ans. Des monitorings se mettent en place dès la signature du contrat. Nous avons des outils qui permettent un accompagnement, un véritable suivi à la fois grâce à des visites virtuelles et des déplacements sur place. Et ce qui est également très important pour nous, c’est que les enfants soient dans un environnement sûr, entourés de personnes qualifiées pour s’occuper d’eux et des activités.
« Travailler tous ensemble dans la même direction »
Parlons d’avenir. Que reste-t-il à faire pour la Fondation ?
On a la chance de faire partie de la grande famille UEFA, d’avoir accès aux fédérations, à de grandes organisations comme Peace and Sport, et à des sponsors qui ont envie de s’engager. Il faut en profiter pour continuer à fédérer les différents acteurs, pour travailler tous ensemble et aller dans la même direction. Plus il y aura de coordination et de travail ensemble, plus il y aura d’impact.
La Fondation UEFA a été élue fondation de l’année par Peace and Sport en 2015. Est-ce que ce travail de « traducteur » que fait Peace and Sport entre vous, bailleurs, et les associations peut être un levier de développement ?
Totalement. Certains sponsors veulent par exemple s’investir dans des projets, mais ne connaissent pas la réalité du terrain. Avoir et apporter cette expertise de terrain, c’est un gain de temps non négligeable pour eux. Et cela permet de réellement répondre aux besoins des communautés. Remarquez-vous un engagement accru des différents acteurs du football ?
Oui, car en 10 ans, la Fondation a su gagner la confiance des différents acteurs grâce à son travail. Il y a encore 5 ans, les actions des sponsors étaient spontanées, 20 000 ou 30 000 euros donnés sans aucune visibilité en termes de longévité. Désormais, on voit de vrais engagements sur du long terme, avec des budgets importants. Il y a une véritable volonté d’action et de changement. Aujourd’hui, aucun sponsor ne s’engage pour moins de 3 ans, ce qui fait une grosse différence.
Les joueurs, eux, n’ont pas attendu la Fondation pour s’engager. Certains étaient déjà très impliqués auprès de leur communauté. Mais aujourd’hui, s’ils en ont besoin, la Fondation UEFA peut les accompagner. On note un réel changement, car les joueurs n’hésitent pas à donner certaines primes à la Fondation pour des projets qu’ils ont à cœur de soutenir.
Simon Bardet – Peace and Sport
