La générosité dans le sport pourrait être rebaptisée de son nom. Comment imaginer geste plus grand que de céder sa place à un compatriote pour une épreuve olympique pour laquelle on visait l’or ? Ce sacrifice, Vénuste Niyongabo l’a fait. En 1996, aux Jeux d’Atlanta, il laisse un autre athlète burundais concourir sur le 1500 m, sa distance fétiche. Qu’à cela ne tienne, c’est sur 5 000 m, que Vénuste remportera l’or devenant le premier champion olympique de l’histoire du Burundi. Au moment même où son pays était en proie à un génocide entre ethnies rivales. Lui refuse ces divisions pour clamer haut et fort défendre les couleurs du Burundi tout entier. Symbole d’union, il n’a de cesse de porter les valeurs de paix par le sport auprès notamment de l’association Peace and Sport.
“Le sport m’a appris qui je suis. J’ai commencé, comme beaucoup, à l’école. J’y ai connu le plaisir d’être le plus rapide de la classe. Le sport permet l’estime de soi. Ensuite, vers 12 ans, j’ai eu des rhumatismes, j’ai été hospitalisé et le médecin m’a dit : Pour que ça ne t’arrive plus, tu dois faire du sport. A 16 ans, je me suis focalisé sur l’athlétisme parce que j’avais des aptitudes. J’ai compris que le sport réduit l’anxiété de la vie alors que beaucoup de jeunes au Burundi sont vite déscolarisés ou tombent dans l’alcoolisme. On y apprend à gérer la pression, à gagner et à perdre, à oser. On y apprend la ténacité, à ne pas se décourager devant la difficulté. Et puis, il y a le côté social : c’est plus facile de se créer des amis.
A 19 ans, après avoir gagné les championnats du monde juniors à Séoul, je pars m’entraîner en Italie. J’ai tout quitté, mes parents, mes amis, je n’avais pas d’argent pour manger. Je suis parti pour un pays que je ne savais même pas placer sur une carte ! Ce fut une année très difficile. Mais cette année m’a forgé comme personne. On apprend dans la difficulté comme dans les défaites. Au bout de cette année, le sport est devenu mon métier.
Gagner la médaille d’or aux Jeux olympiques d’Atlanta alors que le Burundi connaissait la guerre entre hutus et tutsis a représenté un moment important dans mon itinéraire. On m’a raconté qu’au moment de ma finale, la guerre s’est arrêtée parce que j’appartenais à tout le monde. J’avais seulement 22 ans et j’ai compris que je ne devais pas me mêler à la joute politique. D’ailleurs, on m’a demandé, en interview, si j’avais gagné pour les hutus ou pour les tutsis et j’ai répondu : J’ai gagné pour la nation. C’était spontané. Je ressentais une grande responsabilité.
Cette responsabilité, elle me suit : comment rester un modèle pour les générations futures ? Comment être utile ? Mon engagement auprès de Peace and Sport y contribue. Joël Bouzou est venu me voir pour me dire qu’il aimerait que je rejoigne son organisation. Il m’a dit : ton pays a besoin de toi. À partir de 2009, j’ai été l’ambassadeur des Jeux de l’amitié de la région des Grands Lacs. Ça m’a beaucoup touché de voir les enfants du Burundi, du Congo et du Rwanda qui ne parlaient pas la même langue passer la journée ensemble. Et, avec spontanéité, chaque groupe chantait et dansait dans son dialecte sans esprit de compétition. En voyant ça, je me suis vraiment engagé, j’ai trouvé mon utilité pour la société. Je n’ai jamais loupé cette manifestation depuis cette date. 600 enfants sont suivis toute l’année au Burundi avec nos éducateurs. Ce sont des orphelins, des enfants de la rue, des enfants nés de viols ou vivant en grande précarité. Ils apprennent les valeurs de respect, ils sont sensibilisés aux questions liées à la drogue, à la sexualité… On leur offre une écoute. Avec le sport, on se construit un langage commun, on devient une communauté, une famille. En parallèle de cet engagement, j’ai créé la Fondation Vénuste Niyongabo qui travaille avec le Comité olympique, le ministère des Sports, les structures de santé, les écoles. Le but, c’est de faire du sport un remède pour aider les personnes en difficulté.
A l’occasion des Jeux de l’amitié, j’ai franchi la frontière entre le Burundi et le Congo en pleine guerre entre les deux pays. Et j’ai vu les autorités politiques tenir devant les enfants un message pacificateur. On ressent bien à quel point le sport peut être un pont entre les peuples. Je l’ai vécu. »
Interview réalisée par Thierry Suire pour le magazine HEROS.
L’ensemble des interviews sont disponibles ici : https://www.heroslemag.com/



